Parmi les styles de jeux qui se démarquent des autres, les jeux qui invitent les joueurs à se dissimuler sous des identités secrètes ou des rôles cachés ne manquent jamais de déchainer les passions. Sont-ils jouables par tout le monde ? Non, assurément ! Mais ce sont pourtant bien souvent des pépites ludiques, sources d’émotions incroyables. Qu’il s’agisse de Time Bomb, Two Rooms & a Boom ou L’Ombre du Kraken, les jeux à rôles cachés procurent toujours des sensations de jeu très particulières, alors on en parle (et à visage découvert !)

Alors oui, quitte à se découvrir, je vais vous parler de moi, Olivier, car je suis un grand adepte de ces jeux qui permettent – le temps d’une partie – de vivre dans la peau d’un autre personnage, tout en ignorant qui sont mes voisins de table. Pourquoi ? Parce que j’ai tendance à être un mouton IRL et que du coup, ça fait du bien, parfois, de se prendre au jeu de mentir effrontément pour assurer le bien commun de son équipe. Et aussi parce que les embrouillages éhontés de type « quoi !!! ??? mais y’a pas un monde où tu peux être un marin vu que tu as choisi une carte rouge quand tu étais capitaine » sont forcément jubilatoires pour les acteurs introvertis dans mon genre. Donc oui j’aime profondément ces jeux, où même les plus maladroits et les plus bafouilleurs ont leur mot à dire et leur rôle à jouer. Mais plutôt que de chercher à vous en convaincre, je vais surtout vous indiquer pourquoi MOI je les aime, et ce qu’ils apportent à l’univers du jeu de société.

Un jeu à rôles cachés ?

Mais du coup, c’est quoi un jeu à rôles cachés, allez-vous me demander ? Eh bien c’est un jeu dans lequel vous recevez un rôle en début de partie, un rôle que vous devrez tenir pour faire gagner votre équipe (ou vous tout seul, dans certains cas). Au cours de la mise en place du jeu, vous découvrez une carte qui vous affilie à l’une des équipes que propose le jeu (le plus souvent : les gentils ou les méchants). Et le truc génial c’est que vous ne savez PAS forcément, en début de partie, qui est dans votre camp… et qui sont vos adversaires. Chaque partie débute donc sous une atmosphère un peu paranoïaque qui invite à se méfier de tout le monde, car chacun est un ennemi potentiel. Dans Time Bomb, en fonction de votre rôle, vous devrez ainsi désamorcer la bombe qui menace Big Ben, ou essayer de faire en sorte qu’elle explose. Soit. Mais à qui faire confiance ? C’est là tout l’enjeu de ces parties à haute intensité, où le mensonge devient une seconde nature pour tout un chacun.

Des jeux très accessibles

L’une des grandes forces de ces jeux, c’est qu’ils proposent volontairement des règles extrêmement accessibles pour permettre à chacun d’entrer rapidement et efficacement dans la partie. Dans Two Rooms & a Boom, par exemple, vous piochez une carte en début de partie qui vous indique votre camp et comment agir en jeu pour le mener à la victoire. Pas de plateau, pas de dés, juste des gens dans une pièce qui papotent, en toute (fausse) innocence. L’un des joueurs, porteur d’une bombe, tentera d’infiltrer le groupe de joueurs adverse… et ne pas se faire remarquer. La grande accessibilité de ces jeux leur permet d’être joués par des grands groupes de joueurs et par des joueurs débutants. Ils sont d’ailleurs rapidement jouables par des grands groupes d’amis, pour assurer l’ambiance d’une soirée. Il est en revanche beaucoup plus difficile de leur associer de jeunes enfants, tout simplement car il faut savoir rester maître de ses émotions en permanence, et vu qu’on leur serine à longueur de journées que mentir c’est pô bien, ils ont souvent du mal à jouer leur rôle sans se faire choper. (ou s’ils le font très bien, y’a peut-être matière à s’inquiéter, en fait).  Bref : le jeu à rôles cachés est avant tout idéal pour les groupes de potes, ou pour servir de première rencontre avec des gens qui ne se connaissent pas du tout, et qui seront forcés d’interagir dans le cadre du jeu. C’est sans doute la meilleure façon de briser la glace quand on est un tant soit peu timide (comme moi).

Identifier les alliés et les ennemis

Mais au-delà de ce côté social, si j’aime ce type de jeu, c’est qu’ils allient déduction, observation et intuition. Comment savoir si votre voisin de table n’est pas en train de vous la faire à l’envers ? Tout simplement en observant la manière dont il joue et les choix qu’il effectue. Dans l’Ombre du Kraken, la navigation du navire est déterminée par un capitaine, un lieutenant et un navigateur, via une astucieuse mécanique de pioche et de défausse. Et du coup, quand le navire définit son cap, il est difficile de voir (au début !) quel est le rôle exact de chaque joueur sur la navigation. Mais ne vous inquiétez pas : au fil des étapes et des recoupements, il sera progressivement possible de déduire que tel ou tel joueur semble irrésistiblement mener le navire vers le camp des marins ou des pirates. Bien sûr il ; se défendra en disant qu’au vu des cartes piochées, il n’avait pas le choix. Mais est-ce vrai ? Est-ce qu’une fouille de la défausse ne permettrait pas de voir clair dans son jeu et de le confronter à ses contradictions ?

Le plaisir secret des jeux à rôles cachés, c’est qu’ils invitent à une analyse constante des actions de chacun, pour tenter d’y voir des récurrences et des coïncidences bizarres. Tout cela conduit ensuite à la confrontation orale du joueur pour voir comment il se défend. Les joutes verbales sont au cœur de ces jeux, mais que les plus timides se rassurent : le fait d’endosser un rôle permet toujours d’ouvrir la parole et de se laisser surprendre par sa propre éloquence. Un excellent moyen de se surprendre et d’aller bien au-delà de ce que l’on se penserait capable de faire, catégorie mensonge effronté en regardant quelqu’un dans les yeux.  

Ne PAS se faire découvrir

Ces jeux provoquent également le plaisir totalement inverse : celui de camoufler son rôle le plus longtemps possible pour le dévoiler au moment où il fera le plus de mal, c’est-à-dire en fin de partie. Ne pas se faire choper, cela implique de jouer sans se faire remarquer, d’accomplir ses forfaits dans l’ombre, quitte à jouer contre votre propre camp pour vous dédouaner dans un premier temps. Mais c’est aussi le plaisir énorme de posséder une info que vous êtes le seul à maîtriser. Allez-vous jouer tout en mesure ou faire en sorte que l’attention se porte sur vous afin de laisser le champ libre à vos équipiers ? Allez-vous au contraire dénoncer l’un de vos alliés pour vous innocenter aux yeux de vos ennemis ?  De multiples stratégies sont possibles ! Il n’est pas rare non plus que ces jeux – par le biais d’actions inattendues – amènent des joueurs à changer de camp en cours de partie, pour semer davantage de confusion dans les rangs ! Ce sont des moments toujours intenses qui rebattent les cartes et distillent une couche de paranoïa supplémentaire, et c’est toujours grisant à vivre !

L’objectif avant tout, quitte à se sacrifier

Indépendamment de votre rôle, la mission est plus importante que tout. Qu’il s’agisse de faire sauter Big Ben, de protéger le président ou de vous livrer au Kraken, la mission est plus importante que votre cas personnel et vous devez tout mettre en œuvre pour qu’elle réussisse, même si cela se passe sans vous. Dans l’Ombre du Kraken, vous aurez parfois la possibilité de vous jeter du navire pour ne pas avoir à suivre un cap imposé par le reste de l’équipage, ce qui provoquera alors peut-être de quoi modifier le cours de la partie et vous assurer une victoire posthume. L’important c’est l’équipe, et ne perdez jamais de vue que votre camp doit l’emporter, même si vous devez vous exposer pour servir votre cause !

Un plaisir de jeu sans pareil !

Comme je le disais en intro, les jeux à rôles cachés ne sont pas pour tous les joueurs, car en dépit de leur accessibilité, ils demandent une certaine implication pour être vécus à plein. Il faut accepter de jouer quelqu’un d’autre que soi-même, le temps de quelques minutes. Mais croyez-moi : l’investissement en vaut la chandelle tant ces jeux sont gratifiants et riches en émotions au bout du compte. Que l’on gagne ou que l’on perde, ce sont des parties dont on se souvient longtemps après qu’elles sont finies, et que l’on aime se remémorer entre amis, comme des moments forts d’aventure (et de trahisons) à plusieurs. Il n’est pas rare, plusieurs semaines après les parties, de revenir sur leur souvenir. « Tu te souviens de la fois où Mathilde a coupé le fil et fait sauter la bombe ? » Je ne connais aucune autre typologie de jeu de société à tel point axée sur l’interaction entre les joueurs et qui déclenche une telle foule de sensations en cours de parties, que ce soit la suspicion, le stress d’être découvert, mais aussi l’audace, la tchatche, les tentatives de persuasion et des déductions brillantes (qui tombent à côté de la plaque). Rien que pour toutes ces émotions fortes, pour ce plaisir de jeu rare, je vous invite tous à essayer ce style de jeu avec différents groupes de joueurs et de vous laisser porter par le violent plaisir de mentir sur votre identité et vos intentions, pour mieux surprendre les autres joueurs au moment décisif. Je vous souhaite d’excellentes parties !

Olivier_by_IELLO