Kitara : entretien avec Eric B. Vogel
Sorti depuis quelques jours, Kitara vous emmène dans une Afrique de légende, où les héritiers des Bacwezi s’affrontent pour restaurer l’Empire de Lumière. Dans Kitara, les joueurs mènent leurs troupes à l’assaut pour des raids aussi stratégiques qu’expéditifs. Plus que le combat, le contrôle de territoire est la clé de la victoire ! Découvrez un jeu de conquête à la mécanique innovante et à la tension croissante.
Pour nous en parler, nous avons posé quelques questions à son auteur, Eric B. Vogel.
Bonjour, Éric, pouvez-vous vous présenter brièvement ?
Bonjour, je m’appelle Éric B Vogel. Je suis psychologue clinicien, professeur en psychologie et créateur de jeux de société. Mon premier jeu édité est d’ailleurs un jeu thérapeutique pour enfants, Land of Psymon, sorti en 2004 et toujours disponible en 2e édition. Mes premiers jeux pour s’amuser, édités en 2011, sont Cambria et Hibernia. En Europe, mon jeu le plus populaire est probablement Romans Go Home, alors qu’aux USA, il s’agirait plutôt des jeux distribués par Evil Hat Production, notamment le jeu de cartes coopératif The Dresden Files.
D’où vous est venue l’inspiration pour Kitara ?
Kitara a une histoire assez ancienne et a bien évolué au cours de son développement. À l’origine, c’était un jeu simple, qui reprenait les mécaniques de mon jeu de cartes Armonica et les intégrait dans un jeu de guerre simple de type Hibernia. Je cherchais à créer un jeu qui plairait aux fans de Cambria et d’Hibernia, tout en offrant plus de complexité et de profondeur. Au départ j’avais créé le jeu spécifiquement pour l’éditeur de Cambria et Hibernia, dans le thème celtique. Malheureusement, cet éditeur a fait faillite un mois après la sortie de Cambria et d’Hibernia, donc le but du jeu n’avait plus de raison d’être. Alors que je faisais le tour des éditeurs, j’écoutais leurs avis et je continuais à le modifier au fur et à mesure. Finalement, le jeu s’est scindé en deux projets, assez différents l’un de l’autre. Les deux jeux étaient de type « meeples sur une carte », mais l’un fonctionnait avec des dés alors que l’autre était un draft avec trois différents types de pièces joueurs sur la carte. Ce dernier est devenu Kitara.
Le thème de Kitara a-t-il évolué pendant la création ?
Alors que je proposais le jeu aux différents éditeurs, le thème changeait régulièrement. Je n’étais jamais vraiment satisfait, car les thèmes ne collaient pas bien avec les actions du jeu. Finalement j’ai signé avec l’agence Forgenext et mon agent là-bas, Gaëtan, est bien plus efficace que moi pour savoir s’adresser aux bons éditeurs qui prendraient sérieusement en considération mon jeu !
J’étais ravi que IELLO veuille éditer le jeu, et encore plus quand j’ai appris qu’ils souhaiteraient partir sur un thème Africain-fantasy. Il y a eu plusieurs jeux sur l’Afrique ces dernières années, mais ils parlaient presque tous dans l’époque coloniale. Cela faisait longtemps que je voulais créer un jeu sur l’Afrique précoloniale. J’étais très emballé à l’idée de trouver un cadre précis qui correspondrait bien au jeu et j’ai fait mes recherches à cette fin. L’histoire de l’illustre empire Kitara se situe à la frontière entre histoire et mythe, comme l’Iliade. Je pense que ce genre de thème épique correspond parfaitement à ce genre de jeu.
Comment décririez-vous Kitara en quelques mots ?
Kitara est un jeu de construction d’empire de conquête, rapide et nerveux, dans lequel votre territoire s’étend et se contracte dynamiquement tout au long de la partie. Vous choisissez une carte à chaque tour pour améliorer les compétences de votre empire. Puis, vous partez à la conquête des territoires qui vous seront nécessaires pour conserver vos cartes et pour marquer des points de différentes manières. Il existe trois types d’unités dans le jeu: si elles sont placées sur les bons territoires, elles vous permettent de nourrir vos cartes, marquer des points grâce aux Centaures ou pendant les combats. Pour élaborer une bonne stratégie, il faut trouver le bon équilibre de soldats pour construire son empire.
Kitara a une mécanique aussi profonde qu’accessible. Était-ce une volonté lors du développement du jeu ?
Je dirais que le jeu est tactiquement profond, si ce n’est pas un oxymore. Il demande des stratégies sur le long terme, notamment avec le choix des cartes pour construire son empire et les façons de marquer des points que vous allez privilégier. Beaucoup de décisions cruciales impliquent de choisir quels territoires attaquer et où battre en retraite lorsqu’on perd un territoire. Il faut visualiser le parcours de conquête qu’on souhaite effectuer à son tour de jeu, mais les choix de nos adversaires lorsqu’ils battent en retraite peuvent rendre un territoire plus difficile à attaquer et vous obligent à changer vos plans. Pour moi, un bon jeu doit trouver le bon équilibre entre stratégie et tactique. Lorsqu’un jeu est purement tactique, c’est trop léger. Lorsqu’il est complètement stratégique, cela demande trop d’analyses qui paralysent souvent le jeu. Je veux des joueurs qui réfléchissent à leurs choix sans que ces choix ne les tourmentent.
Il est important de souligner que dans Kitara, on tente des stratégies personnelles dans un environnement hostile puisque tous les joueurs partagent un même plateau. Est-ce que l’interaction entre joueurs est importante pour vous ?
Ça dépend du type de jeu : Dans un jeu de conflit, oui bien sûr. En fait, je ne veux pas seulement de l’interaction, je veux que les positions des joueurs sur le plateau soient dynamiques et changent considérablement tout au long de la partie. La conquête est la partie amusante du jeu, donc l’attaque doit être récompensée. Je sais que cette interview est écrite mais essayez de m’imaginer en train de dire « attaque » comme l’empereur Palpatine, je fais d’excellentes imitations de Palpatine. Enfin bref, je n’aime pas les jeux de conquête qui récompensent les joueurs qui jouent seulement défensif. Je trouve qu’il est beaucoup plus sympa de gagner et perdre de nombreux territoires à chaque tour plutôt que de revendiquer des territoires au début de la partie et de les garder jusqu’à la fin. Kitara récompense l’attaque de différentes façons. Attaquer avec les Héros est l’une des principales sources de points dans le jeu. Ainsi, à partir de la moitié de la partie, les joueurs ont besoin de plus qu’une part égale du territoire pour prospérer. Ils sont donc obligés de s’étendre et de conquérir des territoires pendant leur tour.
En tant que joueur, que pensez-vous de Kitara ? Est-ce que vous avez des stratégies à nous recommander ?
Bien qu’il y ait quatre façons de marquer des points dans le jeu, les joueurs ne doivent pas imaginer qu’une seule d’entre elles pourra les mener vers la victoire. La stratégie réside dans la bonne répartition des points de chaque tactique possible. Il est important d’avoir une stratégie flexible et de profiter des opportunités que les autres joueurs vous offrent. Mais je ne voudrais pas donner trop de conseils, je préfère que les joueurs se fassent leur propre expérience du jeu.
Quelques mots sur votre collaboration avec Miguel Coimbra, l’illustrateur de Kitara ?
À cause de la distance géographique, je n’ai pas eu la chance de rencontrer Miguel. Par contre, je connaissais déjà et j’appréciais déjà son travail que j’avais découvert dans des jeux comme SmallWorld ou Cyclades. IELLO a impliqué Miguel très tôt dans le processus de création et ses esquisses ont complètement influencé ma réflexion sur la façon de développer le thème. Les éléments les plus fantastiques du décor, comme les guépards-centaures, sont ses idées. Je pense que l’œuvre qu’il a créée pour Kitara est très évocatrice. Elle crée un cadre mythologique magnifique et fascinant. En même temps, il a évité les représentations stéréotypées de l’Afrique qui apparaissent dans beaucoup de jeux et c’était très important pour moi.
Vous voulez nous parler de vos prochains projets ?
Un de mes jeux sera bientôt publié par Sand Castle Games, les éditeurs de Res Arcana. Il devrait sortir peu de temps après la sortie de Kitara. Il s’agit en fait du jeu à base de dés auquel j’ai fait allusion plus tôt. La date de sortie exacte est un peu incertaine en raison de la pandémie.
Un grand merci à Eric B. Vogel pour cet entretien !
Pour tout savoir sur Kitara, c’est par là…
- Kitara
- Un jeu d’Eric B. Vogel
- Illustré par Miguel Coimbra
- Disponible