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Salton Sea : la vraie histoire

Publié le 16 juin 2025

Par Marc Belzunces

Salton Sea (la « mer de Salton », en français) est une région qui regorge de saumure, une ressource que l’on peut exploiter à la fois pour en extraire du lithium et pour produire de l’énergie géothermique.

Salton Sea est une étendue d’eau très particulière située en Californie, près de la frontière avec le Mexique. Grâce à ses caractéristiques uniques, elle représente l’une des solutions possibles à l’un des plus grands défis de l’humanité : la transition énergétique.

L’urgence climatique nous contraint à diminuer l’utilisation d’énergies fossiles. Pour cela, il existe une solution : les énergies renouvelables. Il y a encore quelques dizaines d’années, lorsqu’on parlait de sources d’énergie renouvelable, on se limitait essentiellement à la construction de barrages permettant d’utiliser la puissance de l’écoulement de l’eau pour produire de l’électricité. Aujourd’hui, l’énergie solaire et l’énergie éolienne forment de nouvelles pistes présentant de nouveaux avantages : elles peuvent être installées presque n’importe où, et restent probablement les moyens les moins chers pour produire de l’énergie électrique renouvelable. Cependant, une autre source d’énergie renouvelable au potentiel exceptionnel arrive sur le devant de la scène : l’énergie géothermique, qui tire profit de la chaleur de notre planète.

Mais d’où provient cette énergie ? L’essentiel de cette immense chaleur (qui peut atteindre jusqu’à 6 000 °C, comme à la surface du Soleil) résulte de la formation de notre planète. Des corps célestes (certains aussi gros que la planète Mars) ont percuté la Terre et ont fusionné avec elle au cours de son processus de création. Ces impacts ont libéré de phénoménales quantités d’énergie, sous forme de chaleur, qui sont depuis conservées à l’intérieur de notre planète. D’autre part, les pressions intenses au cœur de la planète ont entraîné de nombreux changements physiques et chimiques, comme une augmentation du volume de la Terre, associée à la création de chaleur. Enfin, la radioactivité naturelle représente également une source importante de chaleur. En effet, certains atomes instables présents dans les roches terrestres se divisent naturellement pour se transformer en atomes stables. Au moment où ils se séparent, ils dégagent de la chaleur, qui s’accumule ensuite à l’intérieur de notre planète.

Ainsi, lorsque nous forons à travers la croûte terrestre, la température augmente au fur et à mesure que nous nous enfonçons. Cette augmentation progressive, connue sous le nom  de « gradient géothermique », correspond généralement à une valeur de 25 à 30 °C par kilomètre de profondeur. Mais, près de la surface, certains points de la planète sont déjà exceptionnellement chauds. Ces points coïncident généralement avec les bords des plaques tectoniques, où se concentrent les activités volcaniques. La présence de magma à proximité de la surface, dont la température varie entre 700 et 1 200 °C, permet d’atteindre rapidement, et sans forer particulièrement profond, des roches dont la température s’élève à plusieurs centaines de degrés. Les régions présentant ces caractéristiques constituent un choix privilégié pour la construction de centrales géothermiques destinées à produire de l’énergie électrique.

Ce type de centrale utilise les eaux souterraines de ces endroits. Celles-ci dépassent les 100 °C et se transforment naturellement en vapeur, qui est ensuite canalisée par des forages et utilisée pour faire tourner des turbines afin de produire de l’électricité. Pour affecter le moins possible les aquifères (les sols contenant des nappes d’eau souterraines), une autre option consiste à extraire l’énergie de la vapeur à l’aide d’un échangeur thermique, de sorte que l’eau redevienne liquide et puisse être réinjectée dans le sous-sol, où elle se réchauffera à nouveau et pourra perpétuer le cycle. Dans les régions où l’eau est proche de 100 °C sans pour autant se transformer en vapeur, il est possible de pomper l’eau pour en extraire sa chaleur. S’il n’y a pas assez d’eau souterraine, il suffit d’injecter de l’eau froide sous terre (provenant d’une rivière,  par exemple) afin qu’elle soit réchauffée par les roches environnantes, et puisse ainsi commencer  ce cycle de production que nous venons de décrire.

L’avantage de l’énergie géothermique, c’est donc qu’elle reste constante tout au long de la journée et de l’année. Malheureusement, il y a peu d’endroits sur notre planète où l’on peut accéder à ces températures souterraines élevées : l’offre demeure donc limitée. C’est pourquoi de nombreux pays optent davantage pour l’énergie solaire et l’énergie éolienne. Mais ces deux options présentent un inconvénient majeur : elles sont intermittentes. Il n’y a pas de soleil la nuit, et il y a des moments dans la journée où le vent ne souffle pas. Pour résoudre ce problème, il est nécessaire de stocker l’électricité, et l’utilisation de batteries au lithium reste l’une des solutions les plus efficaces pour cela. En ce sens, au-delà de la production de véhicules électriques, le lithium devient un élément clef de la transition énergétique.

Le lithium est un élément très commun et présent en abondance sur la planète. Cependant, jusqu’à récemment, la demande était faible. Le nombre de mines en exploitation ne suffit donc plus à couvrir les nouveaux besoins engendrés par la transition énergétique. En conséquence, la recherche de nouveaux gisements de lithium à travers le monde bat son plein. La plus grande quantité de lithium se trouve en mer, dissoute dans l’eau. Hélas, il est si dilué qu’il faudrait traiter d’énormes quantités d’eau (essentiellement en l’évaporant) pour en obtenir. Le coût de l’opération ne serait pas à la hauteur du rendement. C’est pourquoi les principales zones d’intérêt pour le lithium sont celles qui contiennent de la saumure, c’est-à-dire de l’eau dont la teneur en sel est supérieure à celle de l’eau de mer ordinaire, provenant principalement de l’évaporation de l’eau salée dans des régions qui ont été isolées de l’océan. En d’autres termes, avec la saumure, la nature a déjà fait une grande partie du travail d’évaporation à notre place.

Lorsque toute l’eau de la saumure s’évapore, des dépôts de cristaux de sel se forment. Les géologues les appellent « évaporites », précisément parce qu’ils résultent de ce processus d’évaporation. Le processus inverse peut également se produire, lorsque de l’eau douce est ajoutée à ces évaporites (par exemple, lorsqu’une rivière ou un lac se forme dessus) et que les dépôts sont dissous et redeviennent de la saumure. Dans les dépôts souterrains de saumure, il est possible de forer et de pomper la saumure liquide. Dans le cas de sels semi-solides ou solides mélangés à des sédiments et des roches, il est possible d’injecter de l’eau dans des forages afin de dissoudre ces sels, puis de pomper cette eau transformée en saumure. C’est l’une des nouvelles méthodes utilisées aujourd’hui pour obtenir du lithium, en plus des méthodes traditionnelles telles que l’extraction d’évaporites solides et l’exploitation de gisements de saumure existants.

L’eau possède une propriété très intéressante : plus elle est chaude, plus elle peut contenir de sels dissous. C’est évidemment là que réside le lien avec la chaleur géothermique. Comme nous l’avons vu précédemment, il est possible de pomper de l’eau très chaude et d’en tirer de l’énergie thermique. Si la centrale géothermique est située dans une zone où se trouve de la saumure, il est alors possible d’exploiter l’eau qui est pompée (sous forme de saumure) pour en extraire du lithium et de la chaleur. L’eau est ensuite réinjectée dans le sous-sol afin de dissoudre davantage d’évaporites et d’être à nouveau réchauffée par la terre. Plus l’eau est chaude, plus la quantité de lithium que l’on peut extraire de chaque litre de saumure est importante. Le bénéfice est donc plus important qu’avec de l’eau à température normale simplement injectée dans les sédiments et les roches. Ce double avantage fait clairement des centrales géothermiques l’un des meilleurs moyens d’extraire ce précieux élément. Elles exploitent la chaleur de la planète pour créer de l’énergie électrique et constituent en même temps une source potentielle de lithium.

La zone de Salton Sea est unique, précisément parce qu’elle réunit tous ces éléments. D’une part, nous avons la célèbre faille de San Andreas, qui sépare les plaques tectoniques pacifique et nord-américaine. Comme la plupart des zones en bordure des plaques tectoniques, la région de Salton Sea, connue sous le nom de « Vallée Impériale » (s’étendant sur 250 km), présente des signes d’activités volcanique et géothermique. Cette activité géothermique est exploitée par plusieurs centrales électriques,  tant aux États-Unis qu’au Mexique. D’autre part,  en raison de son histoire géologique particulière,  la Vallée Impériale a autrefois abrité de l’eau de mer qui s’est peu à peu évaporée. À l’origine, il y a des millions d’années, cette région faisait partie de l’océan. L’avancée progressive du fleuve Colorado depuis le nord l’a peu à peu isolée de l’océan jusqu’à en faire une vallée, créant ainsi une nouvelle mer intérieure (coupée de l’océan, on parle de « bassin endoréique ») qui s’est progressivement évaporée. Le fleuve a déposé des sédiments dans la vallée, qui se sont mélangés à la saumure qui s’y était formée. Aujourd’hui, la région de Salton Sea se trouve sous le niveau de la mer et un lac s’y est formé à la suite d’un événement survenu au début du XXe siècle. Pendant deux ans, le fleuve Colorado s’est déversé dans la dépression à cause d’un canal d’irrigation qui n’avait pas été construit avec des mesures de sécurité suffisantes. Il a donc fallu deux années entières aux ingénieurs pour rectifier le problème afin que l’embouchure du fleuve se déverse à nouveau dans le golfe de Californie.

Cette combinaison d’événements fait de la région de Salton Sea une excellente opportunité pour la construction de centrales géothermiques, qui peuvent tirer parti des ressources naturelles présentes. Il est possible de forer pour obtenir de la vapeur et de l’eau chaude dans une zone où l’activité géothermique est importante. En outre,  il est possible d’utiliser cette même eau chaude, qui se trouve être de la saumure, pour extraire du lithium et le vendre en même temps que l’électricité. En combinant ces deux méthodes,  il sera peut-être possible de se passer complètement des combustibles fossiles et de mener à bien la transition énergétique vers un avenir entièrement renouvelable. Marc Belzunces (Barcelone, 1976). Géologue, titulaire d’une licence de l’université autonome de Barcelone et d’une maîtrise en sciences océaniques de l’université polytechnique de Catalogne. Il a été chercheur au Conseil supérieur de la recherche scientifique espagnol et consultant en matière de pollution pour l’Agence Catalane de l’Eau et le ministère espagnol de l’Agriculture, de l’Alimentation et de l’Environnement.


Marc Belzunces (Barcelone, 1976). Géologue, titulaire d’une licence de l’université autonome de Barcelone et d’une maîtrise en sciences océaniques de l’université polytechnique de Catalogne. Il a été chercheur au Conseil supérieur de la recherche scientifique espagnol et consultant en matière de pollution pour l’Agence Catalane de l’Eau et le ministère espagnol de l’Agriculture, de l’Alimentation et de l’Environnement.


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Salton Sea

6 Juin 2025
Créé par : David Bernal
Illustré par : Amelia Sales
14+
120mn
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