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[Carnet d’éditeur] Unmatched & Shakespeare, en français dans le texte

Publié le 11 octobre 2024

Unmatched : Coup de Théâtre est dispoinle depuis ce jour et vous en trouverez un exemple de partie jouée juste ici. Ce nouveau set est exceptionnel à plus d’un titre, notamment car il propose des mécaniques de jeu profondément inédites, qui mettent en avant les talent de dramaturge de William Shakespeare. Des mécaniques ingénieuses et percutantes basées sur les vers qui sont captivants à jouer… mais dont il a fallu assurer une traduction ciselée. C’est précisément ce dont Guillaume, Chef de Projet IELLO sur Unmatched, va nous parler ici.


Petit retour sur la localisation des cartes Shakespeare

Déjà, rappelons la mécanique propre au personnage, au cas où tout le monde ne le connaitrait pas : en plus des valeurs normales de la carte, celle-ci présente aussi le nombre de la carte (de son titre du moins), inscrit en bleu.

La carte « Alas » a 2 syllabes (A-las) ; la carte « My Kingdom for a horse » en a 6, etc.

Le pouvoir de Shakespeare est le suivant : il active un effet bonus dès qu’un décasyllabe (un vers de 10 syllabes) est formé, en jouant une suite de cartes dont le total de syllabes atteint donc strictement 10.

Nous avons en conséquence fait la traduction française, en respectant 4 contraintes principales, que je vais vous citer par ordre d’importance :



Première contrainte

La première, la plus importante, et la plus évidente : respecter le nombre de syllabes de la carte, pour ne rien changer à l’équilibrage du jeu. Une carte en EN dont le titre fait 4 syllabes doit avoir un titre FR de 4 syllabes.



Seconde contrainte

La deuxième, spécifique au français (mais surement applicable à d’autres langues) : arbitrer sur la prononciation versifiée de la langue.
En résumé : il s’agit juste de justifier le choix de prononciation (si la langue en impose) pour que, in fine, les cartes, ainsi que les vers formés par les cartes, aient un nombre de syllabes cohérents, compte tenu de ces choix. On va s’arrêter sur ce second point un petit moment, car il est très intéressant.

En anglais, pour former et prononcer un vers, on ne compte pas les syllabes en réalité, mais des pieds, qui, pour résumer, sont définis par des accents toniques. Souvent, syllabes et pieds se confondent, mais ce n’est pas tout le temps le cas.
En français, la question ne se pose pas. Il n’y a pas d’accent tonique, et pour les textes versifiés, on compte bel et bien les syllabes. On compte d’ailleurs TOUTES les syllabes écrites, pas juste celles qu’on prononcerait spontanément, y compris – normalement – celles se terminant par un « e ». Ce qui n’est pas sans poser de problème.
Ouvrons une parenthèse un peu technique pour illustrer. Prenons le 1er vers du poème « La beauté » de Baudelaire, écrit en alexandrins (12 syllabes).
« Je suis belle, ô mortels ! comme un rêve de pierre ».
Et intéressons-nous plus particulièrement au second hémistiche (la deuxième moitié du vers, censé donc faire 6 syllabes) : « comme-un-rê-ve-de-pierre ». Effectivement, si vous comptez sur vos doigts, vous voyez bien qu’il se prononce en 6 syllabes. On ne prononce pas « com-meuh »; car comme est suivi d’une syllabe ; on ne prononce pas « pier-reuh », car pierre termine le vers ; mais on prononce bien « rê-veuh », car rêve est suivi d’une consonne.
C’est normalement comme cela que l’on procède. Cependant, la difficulté pour nous, c’est que l’on va créer notre vers avec différentes cartes, dont le nombre de syllabes est compté indépendamment des autres cartes.



Imaginons que l’on joue la carte « Poète » (2 syllabes), la carte « Douce est la peine » (4 syllabes ), puis la carte « Tous sont punis (4 syllabes aussi). Au total on est bien censé avoir 10 syllabes. Sauf que, si on prononce le vers d’un coup (Poète, douce est la peine : tous sont punis), on est censé dire « Po-è-teuh-Douce-est-la-pei-neuh-Tous-sont-pu-nis » (12 syllabes).

Ainsi, si on respecte à la lettre la versification française, on est dans le pétrin. Il faudrait que l’on arrive à ce qu’aucune carte ne se termine par un « e » pour naturellement désamorcer le problème, mais ce serait difficile, et ça supposerait de trop s’éloigner du titre original.

Au lieu de cela, pour contrecarrer ce problème du nombre de syllabes qui change, nous avons ajouté une note dans le livret qui spécifie que, contrairement aux règles de versification traditionnelles, on ne prononce JAMAIS les e finaux. Et au sein même d’une carte, par contre, on a choisi des titres qui n’ont pas de mots intermédiaire se terminant par « e » (par exemple, une carte initialement traduite en « Ô, faites place ! » a été changée en « Ô, faisons place ! »), pour ainsi qu’on n’ait aucun doute sur la prononciation d’une carte, lorsqu’elle est lue toute seule.
L’important n’est pas tant de respecter à la lettre une règle de versification, que de simplement préciser dans le livret si on s’en éloigne (sans entrer dans les détails d’ailleurs, nous on écrira une phrase d’une ligne), et de s’assurer que, une fois le choix fait, le résultat correspond bien aux nombres de syllabes.



Troisième contrainte

La troisième, c’est de garder les références shakespeariennes, mais en adaptant si besoin. Par exemple, pour la carte « My Kingdom for a horse » citée précédemment, on aurait tendance en FR à la traduire « Mon royaume pour un cheval », puisque c’est devenue une expression consacrée. Malheureusement, en gardant cette traduction, on serait passé de 6 à 8 syllabes. On a donc traduit par « Mon fief pour un cheval » : on garde l’esprit, mais on adapte.



Quatrième Contrainte

La quatrième (celle qui m’a posé le plus de problème) : lorsque le joueur parvient à faire son vers en décasyllabe, il est censé déclamer son vers. Ce qui implique que, QUELLES QUE SOIENT les combinaisons de cartes jouées, le vers est censé vouloir dire quelque chose (ou à défaut, être grammaticalement correct). En prenant des licences poétiques, en s’autorisant des lyrismes, on obtient des vers acceptables en français. Évidemment, l’anglais est plus malléable, vu que l’exact même mot peut être soit un verbe, soit un nom ; mais on s’est arrangé. Je pense néanmoins que, si on n’était pas parvenu à créer des phrases cohérentes sur 100% des cas, ce n’est pas très grave. C’est juste la cerise sur le gâteau !


Conclusion

Voilà comment nous avons fait la traduction. Ce fut un vrai petit challenge, mais je pense que vous, les joueurs, méritez largement cet effort. Unmatched est un jeu inventif, explosif et qui régale autant les yeux avec ses visuels soignés que les sensations avec son gameplay toujours réinventé. Il nous allait donc être à la hauteur de ce challenge, à la fois pour respecter le travail de Restoration Games, l’oeuvre de William Shakespeare, et votre passion sans faille, qui nous honore et nous oblige à donner le meilleur de nous mêmes, toujours.